Intervention du SNLE au 47e Congrès de la CFDT 08-06-2010 Imprimer
Mardi, 19 Octobre 2010 16:20

Intervention SNLE au Congrès de ToursDu 7 au 12 juin 2010, la CFDT tenait à Tours son 47e Congrès, l'occasion de faire le bilan des quatre années écoulées, d'analyser la situation actuelle et de tracer les orientations des quatre prochaines années. En plein projet de réforme sur les retraites, nombreuses ont été les interventions sur ce thème. De son côté, le Syndicat Livre-Édition a centré son analyse sur le décalage entre les accords signés et leurs effets sur le terrain, la nécessaire évolution du syndicalisme et la révolution numérique .

Voici le texte de cette intervention.

 

 

Intervention SNLE au Congrès de Tours

8 juin 2010

 

 Quand on lit le rapport d’activité de ces quatre dernières années, on se rend compte que le travail accompli est considérable : modernisation du travail, formation professionnelle, GPEC, représentativité, etc. Ce qui manque, toutefois, c’est l’évaluation de l’effet de ces différents accords sur le terrain. Car il y a souvent un décalage entre les accords tels qu’ils sont voulus, négociés et signés au niveau national interprofessionnel et leur mise en application dans les entreprises.

 C’est sur ce décalage que nous souhaitons d’abord mettre l’accent.

Décalage temporel, en premier lieu. Entre le moment où un accord est signé au niveau national interprofessionnel et le moment où il produit concrètement ses effets, il y un temps de latence, de plusieurs années parfois qu’il nous faut mieux prendre en compte.

Décalage entre l’intention et l’application, ensuite. Prenons l’exemple de la rupture conventionnelle, issue de l’accord de Modernisation du marché du travail de janvier 2008. Censée encadrer la rupture « à l’amiable » du contrat de travail et remplacer les licenciements « arrangés », elle a immédiatement créé un effet d’aubaine pour nombre d’employeurs, qui l’utilisent en lieu et place de véritables licenciements économiques, pour échapper à leurs obligations et, surtout, pour pousser dehors les seniors.

Non que la rupture conventionnelle soit une mauvaise idée, non, mais elle est conçue pour un monde « idéal » où chacun, employeur et salarié, serait prêt à assumer loyalement ses responsabilités. Mais nous savons tous que le monde du travail n’est pas idéal, et que les employeurs ne manquent jamais l’occasion de contourner les dispositifs pour peu qu’ils soient insuffisamment encadrés ou sujets à interprétation. Dans les petites entreprises mais pas seulement, la rupture conventionnelle apparaît comme un moyen de plus pour se débarrasser des plus vulnérables. Dès lors, il devient difficile de défendre ce dispositif auprès de salariés qui en constatent les effets pervers et jugent notre engagement dans l’accord sous ce seul prisme.

Autre décalage : les accords nationaux applicables aux entreprises sont pensés, négociés en référence à un certain modèle d’entreprise, la grande entreprise, avec ses moyens et son mode de relations sociales.  Quand il s’agit de les décliner dans des PME, cela tourne parfois au casse-tête.  Sans compter toutes celles qui sont en dessous du seuil fatidique des cinquante salariés et restent au bord de la route. Car il est bien fini le temps où les évolutions sociales dans les grandes entreprises produisaient un effet d’entraînement sur toutes les autres… Entre les premières et les secondes, particulièrement les TPE, le fossé se creuse toujours d’avantage.  L’impossibilité de négocier un accord de représentativité pour les TPE, même si nous savons que le patronat est le grand fautif, est un véritable échec, pour les salariés de ces entreprises et pour le syndicalisme solidaire que nous défendons.

 

Le monde des entreprises est aujourd’hui totalement émietté, nous le constatons, et les meilleurs accords peuvent avoir des effets contraires à ce qu’ils entendent instaurer. Raison de plus pour mieux considérer, en amont, cette réalité « éclatée » dans les accords que nous négocions, mais aussi pour procéder à l’évaluation systématique de ce qu’ils produisent.

 

Le monde du travail a été depuis deux ans durement éprouvé par la crise : crise financière, économique, sociale et morale. Il y a bien sûr les salariés directement touchés par les fermetures, les délocalisations, les licenciements. Il y a aussi ceux dont les entreprises ne sont pas directement touchées, mais où la crise est l’occasion d’accélérer le processus de tri et d’élimination des salariés les plus vulnérables. Le monde du travail fonctionne aujourd’hui comme une gigantesque centrifugeuse, qui tourne de plus en plus vite, et éjecte régulièrement ceux dont elle n’a plus besoin. À charge pour la collectivité de récupérer les morceaux…

La crise a pourtant pu créer l’illusion qu’une modification des règles du jeu était possible : l’individualisation a outrance ayant montré ses limites, il était temps de remettre du collectif dans le fonctionnement des entreprises. Après tout, certains ont bien parlé de refonder le capitalisme, alors pourquoi pas l’organisation du travail ?? 

Mais dans les deux cas, il y a les discours… et la réalité.

En fait, les entreprises ont continué à fonctionner comme avant, pire qu’avant parfois. Et le sentiment d’injustice n’a fait que croître chez les salariés qui considèrent qu’ils continuent de payer pour les profits de quelques uns. Stagnation des salaires, conditions de travail dégradées, surcharge et souffrance, chantage à l’emploi… Nos militants sont sur tous les fronts pour « défendre » ce qui peut l’être avec le sentiment, parfois, d’écoper un bateau qui prend l’eau de toute part.

Dans ce contexte d’exaspération sociale, il n’est pas toujours facile d’être un syndicaliste CFDT, pas facile de concilier volonté constructive de dialogue, de négociation, et capacité offensive. Il est certainement plus simple de se réfugier dans la radicalité et l’opposition de principe. D’autant que cette crise est aussi morale et affecte toutes les formes de représentation démocratique, y compris la représentation syndicale.

Comme le constate justement le rapport d’activité, il s’agit de « dépasser la défiance des salariés vis-à-vis de la pratique institutionnelle du syndicalisme ». Pour cette raison, il est impératif que nous nous engagions résolument dans la réflexion sur l’évolution de notre fonctionnement et de nos pratiques à tous les niveaux de l’organisation. C’est une condition pour gagner la bataille de la représentativité et pour construire une CFDT en prise sur la réalité de demain. Réflexion, mais pas seulement, car quelques idées simples dépendent de notre seule volonté : simplifier nos outils de communication, souvent redondants ; ouvrir portes et fenêtres de nos organisations, pour éviter que certaines ne fonctionnent en circuit fermé, déconnectées du monde extérieur ; écouter nos militants surtout, qui sont notre premier relais vers les salariés, et sécuriser leurs parcours dans l’entreprise et dans l’organisation.

 

Un mot, pour finir, sur une question qui est en train de bouleverser un grand nombre de secteurs d’activité et, particulièrement, ceux du livre et de la presse, comme l’ensemble des medias et de la culture : ce qu’on appelle le numérique.

Pensons à la facilité qui nous est aujourd’hui offerte de consulter des sites d’actualité sur internet, à la rapidité de cette information « en temps réel » par rapport à la « lenteur » du journal papier. Prenons un autre exemple qui nous est familier : le code du travail annoté, ce bon vieux pavé que nous achetons chaque année ; aujourd’hui, on peut le remplacer par un abonnement à un site juridique qui garantit une parfaite fraîcheur des données et des jurisprudences.

Non pas que la presse ou le livre papier soient condamnés à disparaître, non, mais se profilent derrière ce nouvel acteur qu’est le numérique - à fois nouveau media, nouveau support et nouveau mode d’écriture -, des mutations profondes, la disparition d’anciens modèles économiques au profit de nouveaux modèles que nul ne connaît encore avec certitude. En attendant et comme souvent, ces mutations s’accompagnent d’une dégradation des conditions de travail et d’une explosion de la précarité.

Mais au-delà des conséquences économiques et sociales, le numérique et la dématérialisation des flux d’information sont en train de changer complètement les façons de travailler, d’apprendre, de se distraire, d’être ensemble, et la société dans sa globalité. Là encore, la question du « collectif », de la cohésion sociale et de la défense des plus faibles va s’avérer centrale.

Cela nous donne une responsabilité particulière. Nous qui sommes au plus près de ceux qui travaillent, nous devons réinventer ce « collectif », qui n’est plus celui d’il y a vingt ans, nous devons le réinventer dans notre réflexion et dans nos pratiques.

Le rapport d’activité et le projet de résolution montrent que nous avons conscience de l’impérieuse nécessité de relever le défi. Il nous faut maintenant passer aux actes.

Pour sa part, le Syndicat national Livre-Édition s’engagera sans réserve dans cette dynamique nouvelle.

 

 

Martine Prosper

Secrétaire générale